Cheikh AL-Tayeb : "Les chrétiens font partie du peuple égyptien"

Cheikh al-TayebINTERVIEW - Le cheikh Ahmed Mohammed al-Tayeb, le grand imam de la mosquée al-Azhar du Caire, plus haute autorité de l'islam sunnite, s'exprime sur le massacre dimanche des coptes en Égypte, le printemps arabe, le dialogue islamo-chrétien et l'avenir de l'islam en Europe.

René GUITTON. - Dimanche dernier, des manifestations de chrétiens coptes ont tourné au massacre place Tahrir. Quelle est votre réaction ?
Cheikh AL-TAYEB. - Nous déplorons cet odieux événement et condamnons vigoureusement les auteurs. J'ai d'ailleurs joint le patriarche copte Chenouda III pour l'assurer du soutien de la mosquée Al Azhar. De plus, ces actes donnent une image globalement négative des musulmans égyptiens. Les violences ne sont pas dans la nature du peuple égyptien. Les Chrétiens font partie du peuple égyptien et leur situation ne se différencie en rien de celle de leurs concitoyens musulmans. Depuis le début du " printemps égyptien ", ils sont d'ailleurs nombreux dans les rangs des manifestants.

Comment expliquer alors que, depuis dix ans, ils quittent par centaines de milliers le pays ?
Il faut se garder de certaines généralisations. D'une part, les atteintes aux  chrétiens sont le fait de quelques fanatiques violents que nous condamnons. D'autre part, le départ des chrétiens d'Egypte n'est pas lié à la peur. Ils recherchent de meilleurs conditions de vie, notamment en Amérique du Nord, où leur diaspora favorise leur installation.

Un nom-musulman peut se convertir à l'Islam. L'inverse est-il possible ?
Dans le Coran, texte fondamental de l'Islam, il n'y a aucun jugement porté à l'encontre de celui qui quitterait l'Islam. Mais, dans les Hadith du Prophète (les dits du Prophète), l'on trouve plusieurs passages que certains oulémas interprètent  comme une condamnation à mort possible à l'encontre d'un musulman qui quitterait l'Islam. Aujourd'hui, al-Azhar ne condamne pas une personne qui quitterait l'Islam par libre choix personnel et respecterait sa décision.

Que dit l'Islam des profanations ou des destructions de livres sacrés, quelle que soit la religion visée ?
Pour l'Islam, l'homme capable  d'un tel acte est un esprit dérangé ou un provocateur. Ce geste constitue une déclaration de guerre contre les fidèles de la religion visée. Plus encore, il s'agit d'un acte dirigé contre lui Dieu lui-même, car chaque livre sacré renferme la parole de Dieu.

Est-il interdit à un musulman de posséder la Torah ou les Evangiles ?
Non. Je possède moi-même plusieurs exemplaires de la Torah et des Evangiles. Rien n'interdit à un musulman de lire où d'étudier les livres sacrés des autres religions, à la condition de ne pas être impur au moment de cette lecture. Même si nous pensons que, dans la Torah ou dans les Evangiles, il y a la main de l'homme, nous savons aussi que ces écrits ont été inspirés par Dieu.

Vous avez affirmé la nécessité de la séparation des pouvoirs, de l'égalité des droits et de la protection de tous les lieux de culte monothéiste.Comment concilier cette position avec celle différente des frères musulmans, au sein du prochain gouvernement civil ?
Le parti qui remportera le plus de suffrages lors de ces élections sera celui qui formera le gouvernement. Il convient de différencier la confrérie religieuse des Frères musulmans, et le parti politique " Liberté et justice " formé par certains anciens de la confrérie. Ce parti, habilement créé afin de pouvoir participer au processus électoral, n'est pas à un paradoxe près : son vice-président est copte. Je ne crois pas que les électeurs égyptiens, toute la société confondue, portent à la tête du pays le parti issu des Frères musulmans, pas plus que celui des salafistes d'ailleurs. Je doute que le peuple égyptien s'engage sur une voie que je juge très hasardeuse pour la paix civile.

La faculté catholique de Paris a mis en place un module de formation à la laïcité pour les élèves imams de l'institut al-Ghazali à Paris. Imaginez-vous possible une expérience semblable à al-Azhar ?
La sensibilisation au christianisme existe chez nous mais sous une autre forme. Nous n'avons pas mis en place à al-Azhar un enseignement du christianisme à destination des imams ou des élèves imams, mais nous avons créé des échanges avec l'Institut catholique du Caire où sont données des conférences sur l'islam et sur le christianisme.

Un islam " européen " ou " occidental " peut-il exister en Europe ?
Sur le plan doctrinal, le respect des cinq piliers de l'islam s'impose à tout musulman . Quant à la pratique, même si elle s'inscrit dans une société occidentale, rien n'empêche un musulman français ou européen de vivre sa pratique religieuse. Il peut épouser une femme d'une autre religion sans pour cela qu'elle soit obligée de se convertir : ceci en Europe comme ici en Egypte.

C'est avec Vatican II qu'a commencé le dialogue entre l'Eglise catholique et l'islam. On en voit guère les résultats.
Avec la disparition du pape Jean-Paul II, nous avons perdu un grand homme de dialogue. Nous ressentons certaines déclarations du pape Benoit XVI comme une posture d'hostilité, comme le discours de Ratisbonne. Nous aimerions que ce dialogue soit aussi positif que celui que nous avons avec les autres confessions chrétiennes, en particulier avec les orthodoxes. Nous avons l'impression qu'aujourd'hui le Vatican privilégie plutôt le dialogue Judéo-chrétien.

René Guitton pour le Figaro.

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