Depuis 1989, il existait au Maroc une annexe de Tibhirine.
Aujourd’hui, Notre Dame de l’Atlas a recueilli ses frères d’Algérie. Le monastère est bien vivant, en plein pays berbère.

Moines

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Huit des neufs moines trappistes de l’ancien prieuré de Tibhirine. Sept d’entre eux ont été enlevés le 27 mars 1996 et égorgés deux mois plus tard par des islamistes du GIA. Ils demeurent les symboles d’une église qui, en Algérie, ne peut plus témoigner de sa foi que par l’acceptation sereine du martyre.

Six années déjà que les sept veilleurs de Tibhirine ont disparu. Sept moines qui avaient voué leur vie au partage, à l’amour, à la prière avec les musulmans d’Algérie. La communauté des trappistes de Notre Dame de l’Atlas était ouverte au monde, à la multiplicité des cultures, au dépassement des notions de frontières, de religions et de peuples, pour aimer plus loin et donner un véritable sens à l’humanité. En mai1996, la mort a fauché ces miséricordieux en offrant un nouveau sens à leur vie. On croyait les exterminer, on les a immortalisés. Leur message a été repris par d’autres, religieux ou laïcs, gens de bonne volonté qui le transmettent à leur tour, le diffusent et le multiplient. Des groupes interconfessionnels se sont formés perpétuant leur mémoire et leurs mots, en France, mais aussi en Algérie, au Maroc et ailleurs par le monde.
Après cette mort de mai, il y a eu l’espoir. Amédée et Jean Pierre, les deux moines rescapés, ont essaimé eux aussi. Amédée, originaire de la région d’Hippone, est demeuré en la basilique d’Alger. Autour de lui, la communauté se reconstituait. Ils arrivaient de France, d’Espagne, d’Amérique du Sud, ceux de la relève, et attendaient le moindre signe d’apaisement pour rejoindre Tibhirine, y rallumer la vie. Les mois se sont écoulés pour devenir des années, hélas sans retour à la paix.
Des questions se sont posées, contradictoires parfois. Les séjours au monastère se faisaient en cachette, expéditions en escortes  armées où le danger se dressait à chaque virage. Les armes ! Tout ce que ces moines avaient toujours refusé.
Comment, sur ce sommet, maintenir la présence de ces témoins de Dieu, sans fusils et gendarmes? Ces voyages épisodiques d’Alger à Tibhirine devenaient autant de contraintes contre-natures, insupportables. Mais il y avait ceux des villages, qui les réclamaient. Pouvaient-ils abandonner ces êtres en détresse, ce peuple devenu le leur auquel ils se voulaient liés jusque dans son destin le plus funeste? Pourtant, par leur seule présence, les moines ne mettaient-ils pas en danger les populations locales? Les « fous de Dieu » veillaient dans l’ombre des montagnes, prêts à fondre à nouveau. Et ce monastère n’était-il pas devenu trop emblématique, phare éblouissant trop vivement la vie de retrait? Comment pouvoir y prolonger la mission des absents, dans la stricte observance de discrétion et de silence édictée par saint Benoît? Comment y retrouver le « désert »?

Moines

Cette prise de conscience s’est insinuée peu à peu, de 1996 à 2001, et quelques moines d’Alger qui croyaient en Tibhirine ont pris de la distance avec leur espoir. La communauté s’est défaite doucement. Certains repartaient vers leur groupe d’origine pendant qu’Amédée et Jean Pierre demeuraient en sentinelle à Alger jusqu’en juillet 2001. Au lendemain du drame, le deuxième moine rescapé, frère Jean Pierre Schumacher, avait rejoint l’enfant marocaine de Notre Dame de l’Atlas. Depuis 1989, en effet, il existait au Maroc une annexe de Tibhirine. Le monastère algérien demeurait la mère quand, à l’ouest du Maghreb, grandissait la fille. Puis, comme il en est chez les humains, les rôles se sont inversés. La jeune est devenue adulte et a pris le relais. Aujourd’hui, Notre Dame de l’Atlas est installée à Midelt (Maroc). En digne fille de Tibhirine, elle a recueilli ses frères d’Algérie, leurs livres et quelques autres objets.

L’ombre de Charles de Foucauld

Sous l’impulsion de son prieur, le père Jean Pierre Flachaire, la communauté trappiste Notre Dame de l’Atlas s’est reconstituée sur cette autre terre musulmane. La bâtisse date des années 1920. Elle est entourée d’un rempart qui la protégeait d’éventuels assaillants au temps de Lyautey. Aujourd’hui, le cloître a été prolongé, donnant naissance à de nouvelles cellules ouvertes aux retraitants. Une large allée de pins amène à la chapelle qui réunit les frères pour chacun des offices, du petit matin au coucher. Il y a du Charles de Foucauld dans cet espace. Aussi loin que porte le regard, la terre est rouge et craquelée. Les montagnes de l’Atlas se dressent, telle une muraille qui sépare le monastère du cirque de Jaffar. La voix du muezzin du village voisin vient répondre à la cloche qui appelle les Trappistes à la prière.
Ce pays berbère est paisible. Les moines vont en paix. Ils ont placé la foi en Dieu au-dessus de tout. Ensemble, ils vont au bout de l’exigence que leurs prédécesseurs s’étaient fixée. Ils sont là, en terre d’Islam, progressant chaque jour vers la rencontre, la communion même, entre les musulmans et chrétiens, évidente reconnaissance de l’absolu de Dieu.

René Guitton

René Guitton est l’auteur de « Si nous nous taisons »
Calman-Lévy
Prix Liberté de la Forêt des livres, prix Lyautey, de l’Académie des Sciences d’outre-mer.
Prix Montyon de l’académie française

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